Tva sur les prestations de services numériques réalisées par les assujettis étrangers : Vers un troisième arrêté

Tva sur les prestations de services numériques réalisées par les assujettis étrangers : Vers un troisième arrêté

Makhtar SARR

Le Ministre des Finances et du Budget vient de prendre un nouvel arrêté n°006775 MFB/DGID du 21 mai 2024 qui abroge et remplace l’arrêté n°034269/MFB/DGID du 08 novembre 2023 définissant les modalités d’application de l’article 355 bis du CGI.   

Pour rappel, cet article qui prévoie l’imposition à la TVA des prestations de services numériques utilisées au Sénégal ou lorsque le bénéficiaire y est établi a été introduit dans le Code général des impôts (CGI) par la loi 2022-22 du 19 décembre 2022 portant loi de finances (LFI) pour l’année 2023, modifiée par la loi 2023-18 du 15 décembre 2023 portant loi de finances (LFI) pour l’année 2024. 

  1. Qu’est-ce qui justifie ce nouvel arrêté ? 

Conformément l’article 355 bis item 5 du CGI, il appartient au Ministre en charge des finances de préciser les modalités d'application de la TVA sur les prestations de services numériques réalisées par les assujettis étrangers. Ce qui fut fait à travers l’arrêté n°034269/MFB/DGID du 08 novembre 2023.  

Seulement six (6) mois après sa parution, cet arrêté a été abrogé et remplacé par un nouvel arrêté n° n°006775 MFB/DGID du 21 mai 2024.  

Au moins deux raisons pourraient être avancées pour justifier ce nouvel arrêté : 

  1. L’abrogation de l’arrêté du 08 novembre 2023 intervient à la suite de la suppression, par la LFI de 2024, du dernier alinéa (item 6) de l’article 355 bis. Ce dernier prévoyait que les dispositions dudit article « ne s’appliquent que lorsque le client est un particulier non assujetti à la TVA au Sénégal ». Ce texte dispensait les fournisseurs étrangers de la collecte et du reversement de la TVA sur les factures adressées à leurs clients locaux assujettis à la TVA. Autrement dit, si le client est assujetti à la TVA au Sénégal, il lui appartenait toujours, sur le fondement de l’article 355 bis du CGI, de collecter et de reverser la TVA pour compte du prestataire de services numériques étranger. 

Or, l’article 4 alinéa 2 de l’arrêté de 2023 ne prévoyait l’obligation pour le client assujetti à la TVA au Sénégal de liquider, collecter et reverser la TVA en accord avec les dispositions du point 3 de l’article 355 du CGI qu’en l’absence de preuve de l’immatriculation régulière de l’opérateur de la plateforme étrangère. Autrement dit, les fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques sont tenus de collecter la TVA sur l’ensemble de leurs opérations réalisées avec des clients locaux qu’ils soient assujettis ou non.  

La nuance est importante puisque l’arrêté met à la charge du client assujetti à la TVA, la responsabilité de s’assurer de l’immatriculation régulière de son prestataire de services numériques étranger. Si tel est le cas, la TVA pourra lui être payée, à charge pour le prestataire de la reverser à l’administration fiscale. En revanche, si le client assujetti n’a pas la preuve de l’immatriculation régulière du prestataire, il devra liquider lui-même la TVA pour compte, la collecter et la reverser à l’administration. 

Cette situation crée une incertitude et un risque fiscal supplémentaire pour les contribuables assujettis sénégalais. D’autant plus que l’article 9 de l’arrêté de 2023 ne prévoit aucune obligation pour l’administration fiscale de publier la liste des fournisseurs directs et opérateurs de plateformes étrangères qui opèrent au Sénégal ou de fournir des informations les concernant en précisant celles à jour de leurs obligations de déclaration et de paiement. 

Comment, dans ce cas, les assujettis locaux pourront-ils s’assurer de l’immatriculation régulière de leurs prestataires de services numériques étrangers ? Nul doute que la plupart continuera, pour éviter tout risque fiscal, de liquider la TVA pour compte même en présence de prestataires étrangers de services numériques régulièrement immatriculés. 

  1. L’article 363.4 du CGI introduit par la LFI 2023 prévoit que « pour les opérations prévues à l’article 355 bis, la TVA est déclarée, en ligne à travers le portail de l'administration fiscale, au plus tard le 15 des mois de janvier, avril, juillet et octobre ». Or l’article 6 de l’arrêté de 2023 prévoyait que la déclaration devait être faite par les fournisseurs directs et les opérateurs de plateformes électroniques au plus tard dans les quinze (15) premiers jours de chaque mois. Autrement dit, là où le CGI prévoit des déclarations trimestrielles, l’arrêtés de 2023 prévoyait quant à lui des déclarations mensuelles. Cette situation de non-conformité légale de l’arrêté devait naturellement être corrigée. 

 

  1. Qu’est-ce qui a changé ? 

Les nouveautés introduites par le nouveau texte restent, outre la déclaration trimestrielle, l’instauration d’un taux de change moyen, de règles de facturation et des obligations documentaires simplifiées.  

  1. L’échéancier de déclaration de la TVA 

Sous l’empire de l’ancien arrêté, la déclaration de la TVA était faite par les fournisseurs directs et les opérateurs de plateformes électroniques via ETAX au plus tard dans les quinze premiers jours de chaque mois. Le nouvel arrêté dispose, en son article 6, que la déclaration de la TVA est faite par les fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques à travers l’interface de télé déclaration dans les vingt (20) premiers jours suivant chaque trimestre.  

  1. La définition d’un taux de change moyen 

Pour rappel, la base imposable des prestations de services numériques est définie selon le régime du chiffre d’affaires réel. Cela étant, elle est constituée par la contrepartie reçue ou à recevoir par le fournisseur en ligne non-résident ou l’opérateur de plateformes numériques étrangères.  

En cas de fixation des prix de vente dans une devise autre que celle ayant cours légal au Sénégal (Franc CFA), la valeur des ventes est convertie sur la base du taux de change moyen. Ce dernier est celui applicable au dernier jour du mois concerné, publié par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).   

  1. La précision des règles de facturation 

Les factures établies par les fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques doivent comporter un certain nombre de mentions. Ils doivent ainsi mentionner leur identité, adresse et NINEA délivré par l’Administration.  

Outre ces éléments, ils doivent également indiquer les informations permettant d’identifier les clients locaux selon qu’ils soient assujettis ou particuliers. 

En cas de facturation à des assujettis locaux, les mentions suivantes sont obligatoires : 

  • l’identité de l’assujetti local, son NINEA et son adresse ; 

  • la nature de la prestation rendue ; 

  • le prix total de la ou des prestation (s) concernée (s), avec indication, le cas échéant, du taux de change moyen mensuel utilisé pour les transactions en monnaie étrangère ; 

  • le montant de la TVA facturée au taux normal ; et  

  • le montant total de la TVA exigible. 

Dans le cas où les factures sont adressées à des clients particuliers, il est autorisé aux fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques étrangères d’émettre des factures simplifiées dans lesquelles sont indiqués les éléments suivants : 

  • type de la fourniture ; 

  • date de la fourniture ; 

  • TVA due ; et  

  • Informations utilisées pour localiser le client. 

 

  1. La mise en place d’obligations documentaires simplifiées 

D’emblée, il convient de comprendre que le législateur n’exige pas aux fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques étrangères la tenue et la production de livres et de registres commerciaux et comptables suivant les normes locales en vigueur. 

Toutefois, les fournisseurs et opérateurs susvisés restent assujettis à l’obligation de stocker, sous format électronique, dans leurs juridictions de résidence et conformément aux règles en vigueur de protection de la vie privée, toutes les copies des factures ou des reçus et/ou des documents comptables sous-jacents pour toutes les opérations imposables réalisées avec leurs clients.  

Ils ont également l’obligation de tenir copie de factures et/ou de registres comptables sous-jacents identifiant les fournitures aux assujettis locaux et indiquant, le cas échéant, toutes les informations permettant l’identification fiscale des assujettis locaux, la nature des prestations et le calcul relatif à la TVA collectée sur les opérations réalisées au Sénégal. De plus, sur demande de l’Administration, ils sont appelés à transmettre copie des conventions et contrats passées avec les assujettis locaux. Pour ce faire, ils sont tenus de les conserver par les moyens à leur disposition. 

Sans préjudice des obligations déclaratives en vigueur au Sénégal et sauf demande expresse de l’administration fiscale, ils sont dispensés de produire systématiquement la liste de leurs clients situés au Sénégal. 

  1. La persistance de points de non-conformité légale 

  1. Sur l’échéance de la déclaration 

Comme évoqué au point 1) supra, l’ancien arrêté, prévoyait une déclaration mensuelle alors que l’item 4 de l’article 363 prévoit une déclaration trimestrielle au plus tard le quinze (15) des mois de janvier, avril, juillet et octobre.  

Mais, curieusement, le nouvel arrêté dispose, en son article 6, que la déclaration de la TVA est faite par les fournisseurs en ligne non-résidents et les opérateurs de plateformes numériques à travers l’interface de télé déclaration dans les vingt (20) premiers jours suivant chaque trimestre. Cette disposition n’est pas très claire et n’est pas non plus en conformité avec les dispositions de l’article 363 susvisé. En effet, en voulant s’aligner aux dispositions légales qui prévoient un délai de 15 jours suivant chaque trimestre, le nouvel arrêté consacre une échéance trimestrielle mais, fixe un délai de 20 jours créant ainsi une confusion du fait de la violation des prescriptions légales.  

Il aurait été, à notre avis, plus judicieux de reprendre le texte de l’article 363 du CGI ou plus simplement de renvoyer aux dispositions dudit article. 

  1. Sur la détermination de la base imposable 

En tenant compte de la facturation en devise étrangère, le nouvel arrêté introduit un second alinéa en son article 3. Cet alinéa dispose que « les fournisseurs en ligne non-résident et les plateformes numériques étrangères sont tenus, pour la détermination de la base imposable bimensuelle, de convertir la valeur de leur vente […] ».  Étant donné que la période de déclaration est trimestrielle, une assiette déterminée sur une base bimensuelle est d’une non-conformité notoire.